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Être juste (L’Octuple Sentier)

 ” Je dis que tout homme peut atteindre l’Eveil, je ne dis pas que tout homme le désire.” Bouddha

Les voies pour se libérer de la souffrance ont été décrites par Bouddha dans ce qu’on appelle l’Octuple Sentier. C’est comme les huit bras qui partagent la même rivière. Leurs parcours les différencient, mais c’est la même source qui les alimente. Ces huit sentiers sont la vision juste, la pensée juste, la parole juste, l’action juste, le mode de vie juste, l’effort juste, l’attention juste, la concentration juste. Le mot juste n’est pas employé ici au sens moral du terme, mais juste dans le sens de « correct ».

Souvent, dans l’enseignement bouddhiste, ces huit sentiers sont regroupés en trois groupes : Ethique (parole, action et mode de vie), Méditation (effort, attention, concentration) et Sagesse (vision et pensée), mais je préfère les présenter dans l’ordre dans lequel Bouddha les a énoncés, qui a sa propre cohérence en suivant une logique de cause à effet, comme nous allons le voir. Bien-sûr, dans la pratique, dans la réalité de nos vies, il n’y a ni ordre ni hiérarchie. Tous ces sentiers s’entrecroisent et interagissent en permanence entre eux.

La vision juste

La vision juste, c’est voir les choses comme elles sont, voir « la réalité en face » pour employer une expression populaire. C’est voir le monde tel qu’il nous apparaît et non tel que nous l’interprétons, sans chercher dans cette apparition la confirmation de ce que nous croyons. Dans certaines traductions le terme de vison juste est remplacé par « compréhension juste ». C’est la même chose. Je ne peux comprendre correctement quelque chose que si je vois correctement cette chose, je ne peux comprendre profondément quelque chose que si j’ai une vision pénétrante de cette chose.

La vision juste c’est la vision non altérée par les impuretés de notre conscience. Ces impuretés sont dues à l’agitation du mental qui trouble  notre esprit, comme l’eau pure d’un lac peut être troublée par la vase lorsqu’on l’agite. C’est la vision non déformée par l’ego, par les passions qu’il entretient en nous, les désirs, les peurs… C’est la vision qui ne se laisse pas tromper par les mirages de notre imagination, par les illusions de nos idées, de nos croyances, de nos interprétations, par nos bonnos.

Alors le monde nous apparaît pour ce qu’il est, non quelque chose de substantiel et permanent, mais une succession de phénomènes produit par d’autres phénomènes – ce que les bouddhistes appellent la coproduction conditionnée – qui apparaissent et disparaissent à notre conscience, sans substance propre et sans existence propre.

La pensée juste

La pensée juste ce n’est pas la pensée intellectuelle, le cogito, c’est la pensée qui prend conscience de la vision juste. Voir, et d’une façon plus large percevoir, restent au niveau de notre inconscient. Nous savons inconsciemment que nous percevons quelque chose, mais nous ne savons pas ce que nous percevons tant que la pensée n’est pas intervenue. C’est la pensée qui donne une forme et un sens à ce que nous percevons, et de ce fait nous voyons souvent non ce qui est réellement, mais ce que nous croyons, ce que nous voulons ou ce que nous craignons voir.

La pensée juste ne doit pas chercher à reconnaitre, mais chercher à connaître. C’est une pensée qui, libérée des œillères de ses à priori, de ses préjugés, de ses opinons, de ses croyances, des illusions entretenues par l’ego, va naturellement vers la compréhension profonde du monde et des êtres avec qui on le partage. Les pensées qui naissent de la vision juste sont forcément des pensées non égoïstes, des pensées d’altruisme et de compassions pour les autres et qui vont respecter notre interdépendance avec le nature.

La parole juste

La pensée juste ne peut engendrer qu’une parole juste, une parole qui ne véhicule aucun mensonge, aucune haine, qui ne cherche à tromper personne, à lui nuire, à le soumettre à sa volonté. C’est une parole bienveillante qui ne cherche pas à blesser, à salir, à humilier, à calomnier, mais au contraire à aider les autres.

La parole juste n’est pas au service de l’ego, elle ne se perd pas en vain commérages, elle ne cherche pas à briller, à défendre des intérêts personnels, à utiliser la flagornerie ou la ruse pour satisfaire ces ambitions égoïstes. Bien utilisée, la parole peut aider les autres à comprendre d’où viennent leurs souffrances et les aider à en guérir.  La parole peut sauver des vies, sauver le monde aussi surement qu’elle peut les détruire lorsqu’elle est mal utilisée, au service de l’avidité et de la haine.

 L’action juste

L’action juste a été résumée dans les cinq préceptes du bouddhisme : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir, ne pas avoir de mauvais comportements sexuels, ne pas prendre de substances altérant l’esprit (alcool, drogues…). Il ne faut pas prendre ces préceptes comme des injonctions morales. On peut les suivre à la lettre et se trouver nullement libéré de la souffrance. Au contraire, on peut souffrir de vouloir s’y conformer en développant insatisfaction et frustration.

L’action juste découle naturellement de la vision juste, de la pensée juste, de la parole juste. Il est impossible d’ôter la vie de quelqu’un, de le voler, de le tromper en mentant, de satisfaire ses désirs pervers (pédophilie, inceste, soumission dégradante, etc.) si l’on est pleinement conscient des conséquences que ces actes auront sur les victimes.  Si je suis conscient de mon interdépendance avec le monde et les êtres vivants, je vais naturellement chercher à les protéger, éviter de les faire souffrir.

Enfin, pourquoi avoir recours à l’alcool ou à la drogue pour perdre sa lucidité, alors que nous nous efforçons de rester le plus lucides possible pour avoir une vision, une pensée et une parole les plus justes possible ?

Le mode de vie juste

La recherche de l’action juste a forcément une influence sur la façon dont on dirige sa vie personnelle et professionnelle. Il est difficile dans cet état d’esprit d’être injuste avec les autres, de les maltraiter, de leur imposer des conditions de vie indignes et dégradantes, d’avoir des activités qui nuisent à la santé d’autrui, d’alimenter des conflits et des guerres… Autrement dit, celui qui cherche à avoir une conduite juste ne peut pas devenir, dealer, proxénète, escroc, marchand d’armes ou mercenaire… Même le fait de simplement participer à une entreprise qui est à l’origine de mauvais traitements humains et/ou écologiques ne peut que provoquer en lui un conflit intérieur source de souffrances.

Le mode de vie juste doit aussi permettre à chacun de prendre du recul, de s’éloigner mentalement des préoccupations quotidiennes, de l’agitation ambiante, des informations qui déferlent en continu sur nos écrans… Il faut pouvoir garder du temps pour la méditation, la réflexion, le retour à la conscience de soi.

L’effort juste

Garder la vision juste, et le comportement juste qui en découle, demande un effort constant de notre mental pour que notre esprit ne soit pas troublé et détourné par nos ambitions, nos désirs, nos passions… C’est la persévérance dans la voie de la sagesse. La persévérance dans la pratique de la méditation. Mais, dans ce contexte, il ne faut pas donner au mot effort un sens volontariste. Vouloir fait toujours intervenir l’ego : nous allons attendre une réussite, redouter un échec, nous projeter dans un résultat attendu, nous comparer, nous juger, etc. autant de pensées et d’émotions qui troublent notre clairvoyance.

Il faut prendre le mot effort dans le sens de force. Qu’est-ce la force sinon l’utilisation de l’énergie que la nature nous offre ? Cette force peut être utilisée pour faire du bien comme du mal. L’effort juste est la juste utilisation de notre énergie qui dépend elle-même de la juste intention de nos actes. Si nous dispersons cette énergie en mille pensées, en mille actions, nous n’en retirerons aucune force. Si nous la détournons à notre seul profit, nous empêchons cette énergie de circuler. Car c’est le flux de cette énergie qui nous guide et nous maintient sur la voie, comme la rivière guide et maintient le bateau qui suit son courant.

L’attention juste

L’attention juste est le résultat de l’effort juste. Rester attentif à ce qu’on ressent, ce qu’on pense, ce qu’on fait, rester attentif au monde qui nous entoure, pas seulement pendant la méditation, mais dans notre vie quotidienne, demande un effort constant.  Il est très facile dans nos sociétés modernes de se laisser submerger par le flot d’informations qui nous assaillent chaque jour. Nous croyons être en contact avec le réel, mais en réalité nous en sommes complètement déconnectés. Pendant que nous regardons nos écrans, que nous réagissons à chaque nouvelle information, que nous émettons des avis, partageons des commentaires, nous ne voyons pas ce qui se passe autour de nous, nous n’entendons pas les gens qui essaient de nous parler, même nos proches, nous ne nous entendons même plus nous-mêmes.

Sans cette attention nos actes et nos paroles peuvent blesser et détruire, créant de la souffrance pour les autres comme pour nous-mêmes.  Entrainés par notre ego, nous ne voyons le monde et les autres qu’à travers le prisme déformant de nos désirs, de nos ambitions, de notre volonté de puissance, de nos préjugés culturels…

La concentration juste

Comment garder cette attention juste, indispensable pour rester sur la voie ? Par la méditation. La concentration juste, c’est la méditation. Méditer nous ramène au réel, à la simple conscience d’être, ici et maintenant, sans interprétation, sans intention, sans à priori. Alors le réel se révèle pour ce qu’il est : vacuité et impermanence et nous révèle pour ce que nous sommes : le fruit de notre interdépendance. La pratique régulière de la méditation nous ouvre les yeux et nous entraîne à garder une vision juste, la base de la sagesse. La boucle est bouclée…

 

2 Commentaires

  • Dominati

    Merci 🙂
    Cet article était fascinant, très intéressant et surtout très clair ! J’ai totalement compris et j’aime beaucoup la vision et ce que vous traduisez du bouddhisme ; c’est quelque chose de très positif mais surtout de très captivant intellectuellement 🙂 Je revois un peu mes cours de philosophie de terminale XD

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