Conscience Meditation

Sortir de la confusion

“Regarde en toi même s’ouvrir la chambre obscure d’où la lumière naît” Laozi

La vision juste est un élément fondamental de la philosophie bouddhiste ( voir l’article Etre juste ). Quand je parle de vision juste, ce n’est pas dans le sens moral du terme. Le mot juste est employé ici non pas comme le contraire d’injuste, mais comme le contraire de faux, d’incorrect. La vision juste, c’est notre capacité à voir les choses telles qu’elles sont et pour ce qu’elles sont réellement et non déformées par nos désirs, nos passions, nos convictions, nos croyances, nos jugements, nos à priori… La vision juste nous ouvre les portes de l’Eveil.

Mais il est bien difficile de garder une vision juste dans ce monde de bruits et de fureur en proie aux injonctions contradictoires, aux désirs  excités constamment par les images publicitaires, aux émotions aussi violentes qu’éphémères, aux invectives des uns, aux avis péremptoires des autres… Les faits, à peine sont-ils révélés, sont déjà submergés par les commentaires, et les commentaires des commentaires, avant d’être oubliés le lendemain. Nous vivons dans des sociétés qui à travers les médias et les réseaux sociaux alimentent 24h sur 24h la confusion ambiante.

La fiction a remplacé l’expérience

Nous pourrions penser qu’aujourd’hui, avec l’accès aux informations de tous genres que nous offre Internet, nous avons une vision plus juste du monde. Mais que voyons-nous réellement, sinon des images réduites aux quelques cm2 de nos écrans ? Que savons-nous réellement sinon ce que d’autres nous disent ou écrivent ? Comment avoir une vision juste quand la réalité de l’expérience, du vécu, est remplacée par la réalité virtuelle de ce qui nous est montré, ce qui nous est raconté. Nous en sommes arrivés au point que nous préférons filmer les évènements auxquels nous participons, les yeux rivés sur l’écran de notre smartphone pour pouvoir les partager dans la seconde qui suit, plutôt que de les vivre pleinement dans l’instant.

Comme l’a très bien expliqué Bruno Patino dans son livre Submersion, la masse d’informations déversées chaque jour dans les médias et sur Internet a pour conséquence de ne plus savoir quoi regarder, qui écouter. Nous nous en remettons à des médiateurs qui choisissent ce que nous devons voir, ce que nous devons savoir, qui décident de ce qui est important pour nous et ce qui l’est moins. Il suffit de regarder les JT, les chaînes d’info et les articles mis en avant sur Internet pour se rendre compte de ce phénomène. Ils ressassent tous les mêmes sujets, selon l’actualité et la charge émotive des évènements, laissant “hors champ” tout ce que  les rédactions jugent moins intéressant – ce qui veut dire susceptible de faire moins de vues ou d’audimat…

La réalité alternative

Sur Internet, par l’effet pervers des algorithmes, les plateformes sélectionnent pour nous et ne nous proposent que des sujets et des images qui correspondent à nos goûts, à nos préférences culturelles, à nos convictions politiques, à nos croyances religieuses, renforçant ainsi l’idée que l’on se fait du monde. Je dis bien « l’idée », car pendant que nous avons les yeux fixés sur nos écrans et les oreillettes enfoncées dans nos oreilles, nous ne voyons rien et n’entendons rien du monde réel qui nous entoure. Nous ne sommes plus conscients de ce que nous percevons, sentons, pensons, entièrement absorbés par ce monde alternatif dans lequel nous nous laissons enfermer. La réalité n’est plus ce que nous vivons dans notre corps et notre esprit, mais ce qu’on nous donne à voir et à entendre.

Dans ce contexte il n’y a plus de vérité. Les faits peuvent être manipulés à volonté selon l’opinion qu’on veut faire passer. Il suffit de choisir le bon cadrage ou de sortir une phrase de son contexte. Comment garder une vision juste dans une société où même l’idée de réalité est remise en cause, remplacée par le concept de réalité relative ou alternative – ce qui, soit dit en passant, est un parfait oxymore. Il ne peut y avoir deux réalités d’un même fait. Seule l’interprétation qu’on en fait change.

Les injonctions contradictoires

Comment avoir une vision juste quand on ne sait plus ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, ce qui vient de notre vécu, de notre expérience personnelle et ce qui vient des images et des commentaires qui déferlent sur nos écrans ? Certains leaders politiques, avec la complicité de médias complaisants, entretiennent des émotions négatives, des sentiments d’insécurité ou de colère même dans le cœur de gens qui dans leurs quotidiens ne sont pas, ou peu, confrontés aux problèmes qu’ils ne cessent de mettre en avant et d’instrumentaliser. Ce n’est pas ce qu’ils vivent réellement qui provoque en eux de la peur ou de la colère, mais ce qu’on leur raconte. Cette confusion est encore aggravée par toutes les injonctions contradictoires auxquelles nous sommes exposés. Chacun réclame de droit à la liberté d’expression, mais c’est pour mieux réduire l’autre au silence. Chacun réclame le respect de ses opinions, de ses croyances, mais n’hésite pas à utiliser la violence verbale et physique pour détruire celles des autres et imposer les siennes.

La confusion est partout. Alors que dans la presse, dans les médias et même à l’éducation nationale, on nous rabâche qu’il n’y a pas de genre déterminé, jamais nous n’avons vu autant de jeunes filles reproduire les stéréotypes de la féminité en essayant de ressembler à coup de maquillage et de botox à leurs influenceuses préférées, et de garçons bodybuildés et tatoués comme des stars du rap, incarnation de la masculinité !

Le brouhaha permanent

Dans ce monde de confusion où les images et les mots s’entrechoquent en permanence, où l’invective a remplacé le dialogue, où les faits sont immédiatement submergés par des vagues de commentaires creux, de jugements contradictoires, de contre vérités, dans ce brouhaha continu il est très difficile de s’entendre soi-même.

Pourtant, c’est en soi et en soi seul, dans notre perception intime du monde qu’on peut retrouver l’expérience de la réalité. J’appelle ici réalité, le monde non tel qu’il est par essence – ce serait une illusion de croire qu’on peut le connaître -, mais le monde tel qu’il nous apparait, qu’il se révèle à nous, à travers nos sens et notre conscience, et non à travers la médiation et l’interprétation d’un autre.

C’est en prenant du recul par rapport à cette agitation, en se détachant des pensées qui accompagnent nos émotions, nos convictions, nos avis, nos croyances, en faisant le silence en nous, qu’on peut reprendre conscience de ce que nous voyons, entendons, sentons réellement, ici et maintenant, sans y ajouter de jugement, de commentaire, de rejet ou de désir de possession. Ainsi nous pouvons retrouver la vision juste. C’est ce que nous faisons pendant zazen.

 

3 Commentaires

  • Jamy

    Merci pour cette juste publication et sa vision juste sur l’information aujourd’hui

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  • Bernard

    Ton livre “comment être zen sans être moine” est pour ma petite personne un très bon livre, je le place à côté de celui de Shunryu Suzuki. Ma vie se résume en la pratique de zazen comme toi, et cette simple pratique c’est toute la vie qui est devant soi et au delà de soi…. juste être là, juste prendre soin des autres, zazen est une pratique infinie qui n’a pas de but, merveille alors !!

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    • Richard Seff

      Merci Bernard de me placer à côté de Shunryu Suzuki !

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