“La conscience pure est une conscience sans mot et sans forme, l’effacement de toute distance entre ce que je suis et ce qui est.” (Extrait d’Esprit zen)
On parle souvent de « pleine conscience », c’est même devenu une technique de méditation très à la mode. Pourtant l’expression « pleine conscience » n’a pas beaucoup de sens. La conscience n’est ni pleine ni vide ! Est-ce que l’eau est pleine ou vide ?
La conscience est comme l’eau, elle prend la forme que nous lui donnons. Ce n’est jamais la même eau qui coule dans la rivière, c’est juste un flux, ce que les bouddhistes appellent, sous un terme un peu pompeux, le continuum lumineux de la conscience fondamentale. Continuum, parce que c’est un flux sans début ni fin, sans cesse renouvelé, et lumineux parce que la conscience éclaire, nous « donne à voir ». Sans elle, tout resterait dans un noir total et définitif.
Les huit consciences du bouddhisme
Bouddha distingue huit formes de conscience. Les cinq premières sont directement liées à nos organes sensoriels. Ce sont les consciences de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût et du toucher. Mais avoir conscience qu’on perçoit quelque chose, ne veut pas dire avoir conscience de ce qu’on perçoit. La plupart du temps, ce que nous voyons, entendons, sentons, pensons, reste au niveau de notre inconscient. Pour extraire du flux continu et indéfini de nos perceptions et de nos pensées « quelque chose », on a besoin de la sixième forme de conscience, la conscience mentale. La conscience mentale, siège de la pensée, rend intelligible ce que nous percevons. Elle lui donne une signification, un nom, une forme, des caractéristiques. Elle transforme ce « quelque chose » en objet.
La conscience mentale est aussi le siège du jugement qui va être à l’origine de nos attachements et de nos répulsions. C’est au niveau du mental que nous allons, une fois l’objet identifié, lui attribuer des qualités : agréable ou désagréable, beau ou laid, bon ou mauvais… Ces six formes de conscience n’existent pas indépendamment des objets qu’elles créent – objets matériels créés à partir de nos perceptions, objets mentaux créés à partir de nos pensées et de notre imaginaire. Elles apparaissent est disparaissent avec l’objet qu’elles ont créé,
Ces six consciences sont les seules mentionnées dans la tradition Hinayana, le courant le plus ancien du bouddhisme qu’on appelle aussi « Petit véhicule ». Mais le courant Mahayana, apparut plus tardivement, au début de notre ère, appelé aussi « Grand véhicule », ajoute deux autres formes de conscience : la conscience individuelle, ou conscience voilée, et la conscience universelle.
Conscience individuelle et conscience universelle
La septième forme de conscience est notre conscience individuelle, que l’on appelle aussi Chitta. Cette forme de conscience n’est pas liée à un objet physique ou mental, comme dans les six formes de consciences précédentes. Elle n’est donc pas conscience de quelque chose, elle est conscience d’être. Elle ne crée pas d’objet, elle crée le sujet. On peut envisager que c’est la forme de conscience attachée à la vie elle-même, qu’elle en est un de ses éléments constitutifs.
On appelle aussi cette conscience la conscience voilée, car c’est en elle que se développe la conscience illusoire d’un soi. C’est le centre des peurs, des désirs, de la vision erronée à l’origine des bonnos ( voir article Les bonnos sont ils des illusions ?). Limitée par nos moyens cognitifs et intellectuels, « voilée » par notre ego, elle ne nous permet pas d’accéder à la conscience universelle, source de toutes les formes de conscience, la conscience Alaya.
La conscience Alaya est la conscience base universelle, car c’est en elle que se forment les sept autres consciences. Bouddha reconnaît l’existence d’Alaya, mais ne lui reconnait pas pour autant un caractère substantiel permanent et indépendant. C’est en cela qu’il s’oppose radicalement aux courants de pensée traditionnels de l’Inde qui considère Alaya comme la matrice originelle et éternelle du monde. Pour Bouddha cette conscience obéit aux mêmes règles d’interdépendance et d’impermanence qui celles qui animent toute chose dans l’univers. Elle n’est pas la matrice d’où naitraient tous les phénomènes, elle fait partie elle-même des phénomènes. Le phénomène ne peut exister sans la conscience qui le fait apparaître, et la conscience sans phénomène serait conscience de rien. Dans la tradition Mahayana dont est issu le zen, « le monde n’est que conscience ».
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette conception d’une conscience universelle impermanente n’est pas contradictoire avec notre idée de Dieu. Dieu appartient au monde phénoménal. Il a eu besoin de créer le monde pour exister en tant que Dieu. Dieu est dans le monde et le monde est en Dieu. Les deux ne peuvent exister l’un sans l’autre. Il n’y a pas d’œuvre sans artiste, il n’y a pas d’artiste sans œuvre. Peut-être Dieu existait-Il avant la création du monde, mais Il n’était pas Dieu. Qu’était-Il ? Autant se demander ce qu’était l’univers avant le Big Bang !
La conscience Alaya est aussi appelé « conscience réservoir » ou « conscience grenier » selon les traductions, car c’est là que se déposent les graines karmiques que nous produisons tout au long de nos vies. Pour les bouddhistes, le karma n’est pas attaché à une âme immortelle qui se réincarne après la mort physique, comme le croient les religions hindoues, mais fait partie du champ de conscience qui est à l’origine de tous les phénomènes, dont nos vies. Comme la graine plantée dans la terre développe la forme de vie qu’elle porte en elle, le karma développe des vies nouvelles à partir des graines karmiques que nous avons semées. Le karma ne s’inscrit pas dans la vie en l’influençant comme on le croit souvent, il crée la vie.
Alaya, c’est la terre dans laquelle chacun a fait son bout de jardin. De vies en vies, nous plantons de nouvelles graines, arrachons des mauvaises herbes, coupons les fleurs mortes, en faisons pousser de plus belles encore… Nous sommes à la fois le jardin et le jardinier. Lorsqu’il ne reste plus une seule graine karmique, alors le jardin est devenu aussi beau et parfait que la nature qui l’entoure, et se confond avec elle. Il n’y a plus besoin de l’entretenir, d’envoyer le jardinier. Nous avons retrouvé notre nature originelle, le Nirvana. Sans notre attachement à notre jardin et à notre rôle de jardinier, nous n’avons plus besoin de renaître dans de nouvelles vies. Nous sortons du Samsara.
Ce n’est que lorsqu’on atteint l’Eveil complet, celui de Bouddha, que cette huitième conscience, débarrassée de tout karma, de toutes impuretés, de toute dualité, devient pure conscience – ce que certains bouddhistes assimilent à une neuvième conscience, la conscience Amala.
Réunir les huit consciences
Pour moi, ces huit consciences ne sont pas séparées les unes des autres, c’est la même conscience, la conscience universelle qui prend des formes différentes, comme la rivière peut se partager en plusieurs bras. Quelle que soit la forme du bras, c’est la même eau qui y coule, le même courant qui la transporte vers le même océan.
Réunir les huit consciences, c’est ce qu’on fait pendant zazen. Si la formule « pleine conscience » peut avoir un sens, c’est celui-là. Mais les réunir ne veut pas dire les saisir toutes, vouloir être conscient de tout ce qu’on perçoit, tout ce qu’on pense, tout ce qu’on ressent, mais au contraire ne s’attacher à rien, ne se fixer sur rien, pour atteindre dans la vacuité une conscience unifiée, la nature de Bouddha.
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