Ego Eveil

Le pouvoir, l’ennemi du bonheur

Parfois une image dit plus que mille mots… (Photo : Sebastiao Salgado)

L’originalité du Bouddhisme, comparé aux autres religions, c’est qu’elle prend le bonheur des humains pour finalité. Pas un bonheur mérité à force de soumission et de sacrifices, pas un bonheur promis dans un Paradis futur et lointain. Non, pour Bouddha, le bonheur ne peut se trouver qu’en soi-même, ici et maintenant. Comment ? Par l’Eveil, c’est-à-dire en prenant conscience de notre vraie nature qui est une source inépuisable d’énergie créatrice et d’amour.

La volonté de puissance

Alors, me direz-vous, qu’est-ce qu’on attend pour être heureux, comme le chantait Ray Ventura, qu’est-ce qui nous en empêche si c’est notre nature de l’être ? Qu’est-ce qui nous empêche de vivre en harmonie avec les autres en nous libérant du même coup de la peur, de la méfiance, de la rivalité, de la convoitise, de la haine ? Si nous aspirons au bonheur, pourquoi y arrivons-nous si difficilement individuellement, et jamais collectivement ? Serait-ce plus compliqué de vivre en paix que d’entretenir des armées, des polices et des frontières ?

Il existe en l’homme une force plus puissante et plus ancienne que son aspiration au bonheur, c’est sa volonté de puissance. Cette volonté de puissance est constitutive de la vie elle-même. Comme l’a souligné Schopenhauer, la vie est force et volonté d’être. Pour perdurer et se reproduire, toute forme de vie doit exercer son pouvoir d’une manière ou d’une autre sur son environnement. C’est vrai des bactéries, des virus, des plantes, des insectes, des poissons, des mammifères et des humains. Mais chez l’homme, cette force vitale est détournée par l’ego en transformant ce qui est à l’origine une volonté d’être, en volonté de pouvoir. Cette volonté de pouvoir s’exprime par notre insatiable désir de posséder, les choses comme les êtres.

Le gardien de la forteresse

L’ego se construit en dressant un mur entre moi et les autres, moi et le reste du monde, et protège ce moi comme on défend une forteresse assiégée. (à ce sujet lire l’article Casser les murs). L’ego nous fait croire qu’en agissant ainsi nous protégeons notre existence, alors qu’en réalité nous ne cessons de la mettre en danger et de mettre en danger celle des autres. Mais l’ego ne défend pas la vie – la vie n’aspire qu’à la paix et au bonheur propice à la faire prospérer – il se défend lui-même. Le moteur de l’ego n’est pas la recherche du bonheur, mais la recherche du pouvoir.  Nous cherchons à être plus fort, plus intelligent, plus riche, plus malin, plus séduisant… Comme tous les animaux nous cherchons à étendre notre territoire, mais notre territoire n’est pas seulement un bout de terre, c’est l’emprise que nous pouvons avoir sur les autres (notre position sociale, notre place hiérarchique, notre pouvoir d’influence…) . Pour cela, nous utilisons selon les situations  la force,  la ruse ou la séduction (qui est aussi, comme la ruse, une forme de manipulation). Presque la totalité de nos actes n’ont pas d’autres buts. L’autre n’existe pas en tant que tel dans cette stratégie délétère, il ne peut jouer qu’un des deux rôles qui lui sont dévolus : soit il est dominé, soit il nous aide à dominer.

Si l’instinct de survie nous amène spontanément à nous défendre du danger réel, l’ego, lui, comme un veilleur derrière son mur d’enceinte, réagit à des dangers hypothétiques, provoquant en nous des sentiments de peur et d’insécurité complètement déconnectés de la réalité vécue.  Nous réagissons comme si nous étions réellement agressés en échafaudant des stratégies d’évitement ou de combat. Alors, qu’en réalité nous ne pouvons survivre sans le monde qui nous accueille et sans les autres qui nous entourent, nous croyons défendre notre vie en nous opposant au monde et aux autres, souvent même en les détruisant. Nous croyons nous sauver en étant égoïstes, avides, agressifs, mais en réalité nous participons à notre destruction personnelle et collective.

L’ego collectif

Le paradoxe, c’est que notre besoin de pouvoir nous pousse à nous regrouper en tribus pour faire masse, pour être plus fort, mais bien peu d’entre nous ne deviennent chefs, ni même ne le souhaitent. Alors, on cherche le pouvoir dans la protection du dominant, en devenant son vassal, son courtisan, au prix d’y perdre sa liberté, parfois sa dignité. On voit ça tous les jours dans les gangs, dans la politique ou à l’intérieur des entreprises, avec les rivalités qu’engendre la course permanente pour se placer près du chef, du roi, du Président… C’est ainsi que, paradoxalement, notre besoin de pouvoir nous pousse à la soumission, à nous livrer pieds et poings liés à des tyrans qui nous oppriment, nous imposent leur politique, leurs lois, leur Dieu et nous entrainent dans des conflits dévastateurs. En un mot qui font notre malheur !

Toutes les sociétés humaines se sont construites sur ce modèle, sur le modèle d’un ego collectif où l’illusion d’une l’identité commune s’ajoute à l’illusion du moi individuel. Comme l’a si bien décrit Yuval Noah Harari dans son livre Sapien, qu’est-ce qu’un état, une idéologie, une religion, sinon une histoire à laquelle nous croyons ensemble et à laquelle nous nous identifions.

A chacun sa tribu

Aujourd’hui nos tribus sont plus complexes qu’autrefois et nous pouvons adhérer à des identités multiples : familiales, géographiques, culturelles, idéologiques, sociologiques, religieuses…et trouver dans l’appartenance à chaque groupe de « bonnes raisons » de rejeter l’autre, de le combattre ou de le soumettre, voire de l’exterminer. Je vous laisse faire vous-même la somme des violences, des massacres, des guerres, des vies brisées par la haine que produit cette mécanique absurde et destructive.

Je dis absurde, car dans la plupart des cas, l’autre, l’étranger, le dissident, l’incroyant sont des menaces parce qu’on ne les connaît pas. Ils ne représentent un danger que parce que nous voulons lutter contre eux, ou plus exactement contre l’idée que nous nous faisons d’eux. Adhérer à un groupe, sous les dehors altruistes que peut prendre la défense de causes communes, n’est le plus souvent qu’une façon de défendre plus efficacement ses propres intérêts ou ses propres convictions, de satisfaire le désir de puissance de son ego. C’est exercer son pouvoir.

Mais le pouvoir ne se partage pas, il est absolu ou il n’est pas, c’est cela le problème et la source de tous les conflits. Le pouvoir de l’autre limite notre propre pouvoir, et, d’une façon ou d’une autre nous cherchons à le dominer pour le contraindre ou l’anéantir. Aveuglé par notre ego, nous pensons que notre bonheur dépend de notre pouvoir alors que c’est la recherche du pouvoir qui rend le bonheur impossible…

Et si nous choisissions le bonheur

Les gens sont malheureux du malheur qu’ils créent eux-mêmes, individuellement et collectivement. Si nous faisions le choix de rechercher le bonheur, le sien et celui des autres, plutôt que le pouvoir, combien de souffrances pourrait-on économiser. Et combien de dépenses pourrions-nous consacrer non à prévoir la destruction de notre prochain, mais à bâtir un monde meilleur ensemble. Tous nos comportements sociaux sont encore dictés par ce désir puissant de dominer l’autre physiquement, socialement, intellectuellement et sexuellement. Tous nos conflits, avec toutes les souffrances qu’ils provoquent, trouvent leurs racines dans notre volonté de pouvoir.

Et si nous choisissions le bonheur…

 

 

2 Commentaires

  • ingride

    Je ne pense pas exactement que le pouvoir est l’ennemi du bonheur je pense que le pouvoirs est un outil qui peut nous aider a soit être encore meilleures quand on a un bon fond soit devenir encore pire quand on a un mauvais fond. Maintenant il est vrai que je suis d’accord avec la plupart des points énoncé dans cet article. Écoutez les paroles de bouddha il vous mènera au bonheur

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    • Richard Seff

      Merci pour votre commentaire.
      Bien sûr, vous avez raison. L’arme ne fait pas le criminel, c’est l’utilisation que l’on en fait. Le pouvoir lui-même peut aussi être bien utilisé pour faire du bien. Dans cet article je parlais de la recherche du pouvoir qui nous fait préférer souvent la puissance, le conflit, la possession au bonheur partagé.

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