Ego Meditation

Il y a désir et désir…

L’amour ne se prend pas, il se donne. (Tableau : Les amants de René Magritte)

Il ne faut pas confondre le désir d’être, notre volonté naturelle de « persévérer dans son être », pour reprendre la formule de Spinoza, qui est l’expression de notre énergie vitale, et le désir d’avoir, c’est-à-dire l’avidité, qui est le détournement de cette énergie vitale par l’ego à notre seul profit.

Satisfaire son désir d’être, c’est-à-dire se réaliser, est une source de bonheur et de sérénité. Satisfaire son avidité, ou plutôt chercher à la satisfaire, car l’avidité ne se satisfait jamais de ce qu’elle a, est une source de frustration, de colère, de jalousie, de peur… En un mot, la principale source de nos souffrances.

Le désir d’être

Le désir d’être est la force qui crée la vie et la pousse à gagner en puissance. La force qui nous pousse à nous nourrir et à nous reproduire, mais aussi à créer, à chercher à comprendre, à aimer. Il n’y a pas de vie sans désir. Réaliser ce désir d’être, être en harmonie avec cette force vitale, suivre sa voie, nous procure une joie profonde, un sentiment de plénitude, cette impression forte « de se sentir vivant » dont nous avons tous fait l’expérience un jour.

A L’inverse, limiter, contraindre, refouler ce désir ne peut que diminuer cette joie naturelle et produire de la tristesse, de la culpabilité, parfois jusqu’à la perte du goût pour la vie et au suicide.

La méditation ne doit pas éteindre ce désir vital, mais au contraire le développer, le libérer de tout ce qui le limite et le détourne et en particulier les désirs (c’est le même nom en français) créés par notre ego. On pourrait parler de convoitise plus que de désir. Le désir d’être n’a besoin de rien d’autre que d’être vivant pour exister, alors que la convoitise a besoin d’un objet pour se manifester, comme l’aimant a besoin d’un bout de métal pour exercer sa force électromagnétique.

Le désir d’avoir

Le désir d’avoir, ce que les textes bouddhistes nomment trichna en sanskrit, c’est à dire la soif, c’est l’avidité (à ce sujet voir l’article Les trois poisons ). L’avidité transforme l’énergie vitale qui nous pousse vers le monde, en énergie égoïste qui cherche à retenir, à garder pour soi, à posséder. Ce désir de posséder : richesses, territoires, pouvoirs, partenaires sexuels, objets de plaisirs divers autant qu’éphémères, s’accompagne du désir de s’emparer de ce que l’autre possède et donc de le dominer, et au pire de le détruire.

C’est de ce désir-là dont parlent et nous mettent en garde de nombreux philosophes depuis Platon, ce désir qui naît du manque et porte en lui la graine de sa propre souffrance. L’avidité veut toujours plus, n’est jamais comblée, et ce manque génère nos émotions négatives : l’insatisfaction, l’impatience, la colère, le cynisme, le dégoût, la jalousie, la haine des autres, etc.  L’avidité, par peur de perdre ce que l’on possède, crée également l’inquiétude, la méfiance, l’angoisse, qui sont des peurs sans objet, contrairement à la vraie peur.

L’objet du désir

Le désir d’avoir a toujours besoin d’un objet pour se projeter. Mais en réalité, ce n’est pas l’objet lui-même qu’on désire, c’est l’idée qu’on s’en fait et l’effet qu’on imagine qu’il va produire sur nous. Je peux trouver cette voiture très belle, mais je ne la désirerai vraiment qu’au moment où je pourrai imaginer le plaisir de la conduire et la fierté de la garer devant chez moi. Ce n’est pas cet assemblage de tôles peintes avec des roues et un moteur, aussi beau soit-il, qui provoquera mon désir, mais l’idée de moi la possédant, l’idée de ce que cet objet va apporter à ma vie.

Le désir qu’on peut ressentir pour un être vivant ne fonctionne pas de façon très différente. Ce n’est pas la réalité de l’autre que nous désirons – le plus souvent nous ne le connaissons pas encore – mais l’idée qu’on se fait de lui ou d’elle, ou plus exactement du bonheur, du plaisir ou de l’avantage qu’il pourrait nous apporter. Il n’y a pas de sujet du désir, il n’y a que des objets.

L’illusion du bonheur

Nos sociétés consuméristes, dont les valeurs sont fondées sur la possession et la richesse matérielle, ne peuvent nous offrir qu’une illusion de bonheur, une promesse toujours déçue. La publicité l’a bien compris. Ce ne sont plus des objets qu’on nous vend en nous ventant leurs qualités ou leurs performances, comme au temps de la «réclame», mais des promesses de bien-être, de liberté, de séduction, et même depuis ces dernières années, de sérénité : « être zen » !

Mais que peut-on attendre d’un objet qui par définition ne peut établir aucune relation avec nous ? Comment pourrait-il nous rendre heureux ? Au mieux il pourra nous satisfaire, ce n’est pas la même chose, et la satisfaction est un sentiment qui ne dure jamais longtemps.

Le bonheur au contraire est un sentiment de plénitude. Il apparaît quand nous ne nous sentons plus séparés des autres et du monde, quand une même joie nous réunit (un baiser, une naissance, une victoire partagée…), quand le paysage ou le tableau devant nos yeux ne fait qu’un avec nous. Il n’y a pas de bonheur sans partage, c’est-à-dire sans amour.

L’extinction du désir

Souvent on associe la sagesse à l’extinction des désirs, cela ne veut pas dire que refouler ses désirs va nous mener à la sagesse. L’extinction des désirs est la conséquence de la sagesse, non la condition. Le désir, dans le sens de trichna, disparaît au fur et à mesure qu’on se détache de l’emprise de son ego, de façon naturelle, comme un arbre perd ses feuilles en automne. Toute vertu que l’on s’impose n’est plus une vertu, mais au contraire la satisfaction d’un désir égotique, le désir de ressembler à une vision idéalisée de soi-même, de se trouver bon, sage, digne de l’estime des autres, etc.

C’est l’attachement à l’objet, et plus précisément à l’illusion du bonheur qu’on attend qu’il nous procure, qui est à la source de nos émotions négatives. La méditation nous aide à nous détacher des désirs égoïstes conditionnés par notre avidité, et à nous libérer des émotions négatives qui les accompagnent et nous empêchent d’être. C’est pour moi le sens profond de la pratique.

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