« Comme dans le miroir, la forme et le reflet se répondent. Vous n’êtes pas le reflet, mais le reflet est vous » Maitre Tozan
Cette citation de Maître Tozan est la meilleure illustration de ce qu’est l’ego. Celui qui regarde, c’est celui qui EST. Mais il ne sait pas QUI il est. Il ne peut voir son visage, ni même la majeure partie de son corps. Il a besoin du reflet pour prendre forme à ses yeux. Même si le reflet n’a aucune existence propre, il va s’identifier à lui, il va mettre des mots sur ce qu’il voit : jeune, vieux, grand, petit, blond, brun, beau, laid, gai, triste…, et dira « ça, c’est moi ». Pourtant, s’il veut attraper ce « moi », il ne touchera que la surface réfléchissante du miroir. Ce reflet, c’est l’ego.
Nous héritons de la conscience d’être avec la vie. Cette conscience est constitutive de notre personne. Elle n’a pas besoin d’être pensée. Cette conscience d’être n’est pas l’ego. L’ego est ce qui pense cette conscience. C’est par les pensées que nous nous délimitons, que nous définissons un dedans et un dehors, un moi et un autre, que nous séparons les choses et mettons un nom dessus… L’ego se construit sur ce que nous pensons être et sur ce que nous croyons être le monde.
L’ego a besoin du miroir
L’ego a besoin du miroir pour savoir qu’il existe. Pourtant rien ne relie le visage dans le miroir à celui qui le regarde. C’est par la pensée, le raisonnement, la déduction, que nous comprenons très jeunes que ce reflet est le nôtre, et que nous nous identifions à notre reflet, c’est-à-dire à l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes.
On peut dire cela autrement : l’ego, en tant que sujet – celui qui regarde – a besoin de devenir l’objet de son observation pour exister. Cette séparation de soi est comme une déchirure, une source de souffrance. Nous détruisons notre unité naturelle pour entretenir une relation dualiste, conflictuelle entre celui qui est et celui qu’on veut ou qu’on croit être, entre notre perception du monde et le monde tel qu’on l’imagine et le désire.
Dans cette relation ni l’objet ni le sujet – qui n’existe que par sa relation à l’objet-, n’ont d’existence propre. Ce sont ce qu’on appelle des bonnos (à ce sujet voir l’article Les bonnos sont-ils des illusions) ces constructions mentales que se substituent dans notre conscience à la réalité.
Alors qui suis-je ? Celui qui voit ? Surement. Mais si je demande qui est celui qui voit, je serai bien obligé de répondre « moi », c’est-à-dire le reflet de celui qui regarde. L’œil ne peut pas se regarder lui-même.
C’est par la pensée que l’ego existe
L’ego n’a aucune substance originelle. C’est la pensée qui, en reliant entre eux des souvenirs disparates et souvent déformés, des sensations, des émotions, des idées, crée l’illusion d’une continuité et d’une permanence qui va nous permettre de dire : « je suis ceci ou je suis comme cela » » de façon catégorique et définitive. Nous gardons une image figée de nous-mêmes comme une photographie, illusion de permanence, alors que ce que nous vivons réellement change sans cesse, change nos traits, nos idées, nos sentiments, au grès des événements, des rencontres, du temps qui passe…
L’ego naturellement limite notre vision, notre champ de conscience, comme le cadre du miroir. Il nous sépare d’une partie du monde, et même d’une partie de nous-mêmes. L’ego bâtit un mur entre moi, habitant de mon corps, et le monde. Cette construction qui nous constitue en tant qu’individualité, qui nous délimite, nous est indispensable pour survivre. Mais c’est ce mur aussi qui nous empêche de voir l’horizon, « « l’esprit vaste » dont parlent les Maîtres zen, qui nous maintient dans une vision erronée, déformée par notre égocentrisme, voire notre narcissisme, et par nos choix égoïstes.
Méditer c’est passer de la conscience de soi à la conscience en soi
La connaissance de soi, à la base de la sagesse, passe par un effacement de l’ego. Il faut ouvrir le mur pour laisser entrer la lumière, pour y voir clair, pour se retrouver dans et avec le monde, avec les autres, ouvert, décentré, dans un désintéressement altruiste
Méditer, c’est passer de la conscience de soi à la conscience en soi. Passer de celui que je regarde dans le miroir, à celui qui voit. Et au-delà, être la vision elle-même sans le filtre de la pensée. Sortir de l’illusion de la relation sujet-objet et faire l’expérience de la présence du monde en nous.
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