” Sois toi-même ton propre refuge. Sois toi-même ta propre lumière.” Bouddha
Dans l’esprit de beaucoup de gens, pour pratiquer la méditation il faut se tenir à l’écart du monde, à l’abri de l’agitation et des émotions de la vie courante, s’isoler. Certains vont même jusqu’à se retirer dans un temple ou un monastère… Mais on n’est pas obligé de devenir moine ou none pour pratiquer zazen, heureusement !
Le zen a été transmis par des moines, notamment Maître Dogen au Japon, qui à travers leurs récits, ont eu tendance à idéaliser la vie monastique, à l’associer spontanément à une forme de sainteté, reléguant les laïques à des pratiquants de deuxième catégorie. Je pense au contraire que la méditation est utile dans la vie quotidienne, qu’ elle doit s’intégrer à elle et non l’exclure.
Si l’on reste dans une conception purement bouddhiste, le zen est un engagement religieux avec sa hiérarchie et ses rituels. On devient bodhisattva (pratiquant laïque), none ou moine après avoir accompli un certain nombre de cérémonies selon la tradition du zen Soto japonais. C’est une voie que je respecte, qui nous a transmis l’enseignement du zen jusqu’à aujourd’hui, mais je pense qu’on peut pratiquer zazen sans être religieux soi-même. Je trouve même des contradictions entre l’esprit du zen, qui est, comme l’a écrit Maître Suzuki, un “esprit neuf”, c’est-à-dire un esprit de création, de découvertes, et l’esprit d’imitation et de répétition qui accompagnent toute démarche religieuse. Le zen, c’est le refus des croyances.
Etre ou ne pas être dans le monde, telle est la question…
Ce que cherche généralement le pratiquant bouddhiste en s’engageant dans la vie monastique, ou semi-monastique à travers des retraites régulières, c’est de se détacher de la vie sociale, avec toutes ses contraintes et ses pressions, pour pouvoir se concentrer sur sa pratique, sur le présent, sans se préoccuper de ce qui arrive. C’est sûr que c’est plus facile d’être “présent” à soi-même, sans avoir à se soucier de son travail, de sa famille, de son compte en banque… Mais faut-il fuir le monde pour être sage ou ne vaut-il pas mieux essayer, même si c’est parfois difficile, d’être sage dans ce monde ?
Vous l’avez compris, même si je respecte ceux qui vont vers le zen par aspiration religieuse, ce n’est pas mon cas. Ce qui m’a amené au zen, c’est purement et simplement la pratique de la méditation, le zazen, qui est pour moi la forme de méditation la plus profonde et la plus aboutie. Cette méditation intègre les valeurs fondamentales du bouddhisme: la compassion, la conscience de notre impermanence, de notre interdépendance, de la vacuité de l’ego et des illusions qu’il produit… Si ce n’est pas un engagement religieux, ce n’est pas non plus un simple exercice de relaxation, c’est une démarche spirituelle. C’est la vieille quête de la philosophie, chère à Socrate : Connais-toi toi-même.
Méditer doit nous aider à mieux nous connaître pour mieux connaître les autres, à prendre conscience de notre interdépendance pour mieux comprendre notre place dans le monde qu’on habite. Où qu’on soit, chez soi, dans un dojo ou dans un temple, méditer ce n’est pas se déconnecter du monde, c’est au contraire se connecter davantage à lui, être plus conscient, plus présent.
Méditer où et quand ?
Pratiquez zazen demande une initiation très simple, mais que seul un pratiquant confirmé peut donner. Cette initiation se fait dans un dojo. Il est nécessaire de participer à plusieurs séances de zazen pour bien comprendre la pratique et trouver ses repères. Ensuite, on peut méditer seul chez soi, à son rythme, sans forcément abandonner la pratique en groupe avec un maître zen. Bien sûr, pour méditer seul, un environnement calme est préférable, mais ce n’est pas indispensable. Apprendre à ne pas se laisser distraire par les bruits autour de soi ou par l’agitation de la rue sous ses fenêtres est un bon exercice de concentration.
Il n’y a pas d’heure meilleure que d’autres pour méditer. Certains vont préférer le matin pour bien se préparer mentalement à la journée qui commence, d’autres préfèrent méditer le soir pour se vider des tensions accumulées. Ce qui est important c’est d’avoir suffisamment de temps pour s’installer profondément dans la méditation. Le mental ne se calme pas instantanément. C’est comme une bouteille d’eau mélangée à des sédiments qui a été longuement secouée. Il faudra du temps pour que les sédiments retombent au fond de la bouteille et que l’eau devienne transparente. Il faudra du temps pour que la respiration se calme et devienne plus profonde, que le rythme des pensées ralentisse, que l’esprit se pose.
On peut méditer au moment de son choix, seul et/ou en groupe, mais ce qui compte le plus c’est la régularité de la pratique. Comme le sportif ou le musicien a besoin de pratiquer tous les jours, le mental, à travers la méditation, a besoin lui aussi d’une pratique régulière pour garder ses capacités de concentration.
Réaliser l’Eveil
Méditer, c’est réaliser l’Eveil, c’est ouvrir une brèche dans le mur des illusions. Et plus la brèche est large, plus le jour entre à l’intérieur. Nos sentiments, nos émotions, notre façon de penser changent naturellement, comme les objets changent d’apparence quand ils passent de l’ombre à la lumière. Nos idées deviennent plus claires, notre relation aux autres plus ouverte, plus sereine. Nous agissons de façon plus juste parce que notre vision est plus juste.
La méditation nous permet de passer un moment sans but particulier, sans destination à atteindre, sans n’avoir rien à faire, rien à dire, rien à penser, un moment pendant lequel “on se fout la paix” comme dit Fabrice Midal… Et nous constatons rapidement que notre état naturel, lorsqu’on se coupe de ses préoccupations, qu’on fait le vide dans sa tête, qu’on libère son corps de ses tensions, est un état de plénitude puisque nous ne voulons rien, et de sérénité puisque nous n’attendons rien.
La nature de Bouddha
Pour beaucoup de bouddhistes, cet état est notre état naturel, originel, c’est la nature de Bouddha. La nature de Bouddha n’est pas un pouvoir surnaturel transmis de façon mystérieuse. Même si nous n’en sommes pas conscients, il est en nous, il est à l’origine de ce que nous sommes, il nous constitue comme l’eau qui irrigue chaque cellule de notre corps. Nous ne pouvons pas boire cette eau, mais nous avons soif dès qu’elle nous manque.
Alors, me direz-vous, pourquoi ne pas chercher à rester dans cet état de façon permanente ? Pourquoi continuer à se laisser perturber par nos vies quotidiennes ? Pourquoi ne pas se retirer du monde et méditer au fond d’un monastère ? D’abord, parce que répondre de cette façon à cette question, c’est laisser répondre son ego. C’est rechercher un bénéfice pour soi. Mais surtout parce que l’état naturel de l’homme est aussi de vouloir agir, parler, travailler avec ses mains et avec sa tête, créer des œuvres d’art, trouver des équations nouvelles, avoir des relations amoureuses, fonder une famille, s’engager pour la collectivité… Renoncer à tout cela, c’est renoncer aussi à notre nature. Nous ne sommes pas des anges !
Garder l’esprit de méditation
Méditer doit nous aider à accomplir nos vies et à aider les autres à accomplir la leur. Il faut porter l’esprit de la méditation au-delà des quelques minutes où l’on garde la posture, afin d’aborder la vie avec une vision juste, dépouillée de toute avidité, de jalousie, de volonté de domination. Ne pas se laisser entraîner par son ego. Rester dans la conscience du présent.
Pour moi – d’autres, bien sûr, pensent différemment– la méditation n’a de sens que si elle s’inscrit dans la vie réelle. Ce ne doit pas être un moyen de s’isoler, de se protéger, de s’installer dans une zone de confort où aucune émotion, aucune relation ne viendraient troubler notre sérénité. Elle doit nous donner la force d’affronter la vie dans sa réalité quotidienne.
Comment le samouraï peut savoir qu’il est un bon samouraï s’il ne se bat jamais ?
Eric Haeny
Za-zen, n est ce pas une illusion de plus à perdre?
Richard Seff
Justement, zazen c’est l’expérience de la vacuité. La pensée n’intervient pas dans la méditation.
Chantal
Merci pour ce partage, Richard. Cela fait un an que j’ai recommencé à méditer, d’abord dans le cadre de la pleine conscience.Très vite j’ai eu envie de pratiquer et évoluer dans une tradition plus spirituelle (bouddhisme tibétain actuellement). Je me demande s’il est possible de garder ses relations quand on se développe et tent à pratiquer les enseignements bouddhistes? Merci.
Richard Seff
Bonjour Chantal, la méditation ne doit pas vous couper des autres, bien au contraire! Plus on se connait profondément, plus on se détache de son ego, plus on est capable de “voir” réellement l’autre, de l’écouter, de le comprendre, d’avoir de la compassion. L’ego nous empêche d’avoir une vraie relation avec les autres parce qu’il en attend toujours un profit, un avantage pour lui-même. J’ai écrit dans mon livre “Esprit Zen” :”Quand l’ego s’efface, l’amour paraît”. La méditation devrait avoir pour conséquence de nous ouvrir au monde, aux autres, et non de nous isoler.
Amicalement.