« Ma formule pour ce qu’il y a de grand dans l’homme est amor fati : ne rien vouloir d’autre que ce qui est, ni devant soi, ni derrière soi, ni dans les siècles… » Nietzche
Quand on commence à méditer, on a tendance à vouloir « bien faire ». On a cette conviction profonde que si l’on ne fait pas d’effort, si l’on n’impose pas à notre corps notre volonté, on ne va pas y arriver. Mais arriver à quoi ? À atteindre le but que nous nous sommes fixé, à ressembler à l’image idéale que nous avons forgée dans notre tête ? Cela peut marcher pour faire de la gymnastique, déjà moins pour le sport où le corps doit agir plus vite que le mental. L’état d’esprit de la méditation ressemble à celui du yoga et des arts martiaux : par la pratique régulière on n’apprend pas au corps à obéir à son mental, on lui apprend au contraire à se libérer du mental pour agir.
Pendant la méditation, il faut faire confiance à son corps. Il faut le laisser respirer, trouver sa posture sans intervenir directement, sans vouloir forcer quoique ce soit, en restant juste attentif. Cette attention de l’esprit sert à ne pas se relâcher, se laisser distraire, et non à contrôler et à corriger. C’est par la fermeté de l’esprit que l’on maintient la fermeté du corps dans la posture et par le calme de l’esprit que l’on retrouve une respiration profonde. Le corps n’a pas besoin du mental pour fonctionner, c’est au contraire le psychisme qui dans certains cas l’empêche d’agir naturellement. C’est l’ego qui intervient avec son flot d’injonctions : « Fait comme ceci, soit comme cela… » et qui cherche à imposer au corps des positions et des rythmes inadaptés. Quand on médite, il ne faut pas chercher à bien faire, mais à laisser faire. Il faut avoir confiance.
Le souci de soi
Mais pourquoi avons-nous tant de mal à avoir confiance ? Confiance en soi, confiance aux autres, confiance à la vie ?… Le principal obstacle à la confiance c’est le souci de soi. C’est cette inquiétude permanente que nous entretenons à notre sujet, non pas pour ce que nous vivons dans l’instant présent – ce qui serait légitime si l’on est malade, par exemple, ou confronté à une situation difficile – mais pour ce que nous craignons de vivre : peur de ne plus être aimé, de perdre notre santé, notre beauté, notre statut social, notre confort de vie… Que d’efforts faisons-nous chaque jour par souci de soi ! La masse des produits vendus qui nous promettent de rester plus jeunes, plus séduisants, plus en forme, le nombre de publications pour nous aider à être plus performants dans notre travail et notre vie personnelle, en sont la preuve ! C’est l’attachement à notre ego qui entretient notre manque de confiance.
La méfiance et la crainte nous empêchent d’oser agir et de nous réaliser. Elle nous empêche d’établir une véritable relation avec les autres, nous privant ainsi de la possibilité d’aimer et d’être aimé. Il faut accepter le risque de la souffrance pour pouvoir vivre pleinement. Celui qui vit dans la crainte de l’avenir souffre deux fois ou souffre pour rien…
Avoir confiance en soi
La confiance, au sens le plus large du terme, commence par la confiance en soi. Avoir confiance en soi ce n’est pas se sentir meilleur ou plus fort que les autres, c’est au contraire accepter ses imperfections, ses faiblesses, sans chercher à se les cacher et à les cacher à ceux qui nous entourent. Entretenir cette dualité et cette forme de mensonge est une source permanente de conflits et de souffrances. Il faut cesser de croire qu’on ne peut pas être aimé tel qu’on est, sortir du cercle névrotique qui nous pousse à penser que nous devons être différents pour mériter l’attention et l’amour des autres, que nous devons toujours être plus fort, plus riche, plus séduisant, dans une fuite sans fin et jamais satisfaite. Il faut cesser de croire les gourous et les coachs en tous genres qui nous disent comment nous devons être, en nous maintenant dans l’illusion délétère que ce que nous sommes ne suffit pas.
Beaucoup de gens pensent que se montrer tel que l’on est, avec ses défauts et ses faiblesses, nous expose aux personnes malfaisantes qui veulent nous flouer et abuser de notre confiance. En réalité, c’est le contraire. Être confiant, ce n’est pas être naïf ! C’est cesser de croire que les autres sont meilleurs que nous et qu’ils possèdent ce que nous n’avons pas. On se fait flouer et abuser par les gens dont on attend qu’ils nous donnent ce qui nous manque. C’est parce que nous n’avons pas assez confiance en nous et que nous leur accordons notre confiance qu’ils peuvent nous tromper. Tous les escrocs le savent !
Avoir confiance en l’autre
Avoir confiance en soi, c’est aussi avoir confiance en l’autre, ne pas le rejeter apriori. C’est oser le regarder dans les yeux, l’écouter sans crainte et sans préjugé. Cela ne veut pas dire qu’il faut laisser sa maison grande ouverte et accueillir n’importe qui, mais trop de méfiance ne peut que nous isoler. Si l’on se méfie de tous, on ne fait plus la différence entre les gens bienveillants et honnêtes, et les gens néfastes et dangereux. On rejette tout le monde, et par cette attitude nous confortons notre conviction que ce sont les autres qui vous rejettent. Ainsi, on peut vite s’enfermer dans un sentiment de solitude, d’abandon et même de haine de l’autre.
On ne peut pas vivre sans faire confiance aux autres pour la simple raison que notre vie dépend entièrement d’eux, nous n’existons qu’en interdépendance (voir l’article La vie est interdépendance) avec eux et avec la nature. Sans personne pour nous nourrir, pour nous soigner, pour nous apporter les mille et une choses dont nous avons besoin au quotidien, nous ne survivrions pas très longtemps. Comme toute dépendance, elle comporte un risque, celle que l’autre s’en serve contre vous. Mais refuser ce risque, c’est refuser la vie.
Avoir confiance en la vie
Avoir confiance en la vie, c’est dire « OUI ». Oui à ce qui est, sans rien rejeter de prime abord, ni se réfugier derrière des protections illusoires. C’est l’Amor fati de Nietzche : « ne rien vouloir d’autre que ce qui est, ni devant soi, ni derrière soi, ni dans les siècles … » Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il faut accepter ce qui est intolérable. Dire oui à la vie, c’est aussi combattre tous ceux qui la détruise, qui sèment la souffrance et la mort par leurs idées et par leurs actes.
Avoir confiance en la vie, c’est cesser de vouloir la contrôler. C’est arrêter de lui demander de combler nos vœux et de réaliser nos rêves. La vie ne fait jamais ce qu’on a décidé de faire, c’est ainsi. On peut toujours penser que ça aurait pu être mieux. Mais on ne fait que comparer la réalité à une idée, à un monde imaginaire, à un rêve, sans savoir ce qu’il serait réellement advenu si l’idée ou le rêve c’était réalisé dans le monde réel. Combien de fois n’avons-nous pas remercié la vie, à postériori, que les choses ne se soient pas passées comme nous l’avions prévu ? Comme l’a si bien dit Thérèse d’Avila : « Il y a plus de larmes versées sur les prières exhaussées que sur celles qui ne le sont pas. ». À méditer…
Il ne faut pas chercher à imposer à la vie ce qu’on veut qu’elle soit. Je ne dis pas qu’il faut baisser les bras et se laisser porter par les évènements comme une feuille morte emportée par le vent. Il faut au contraire accompagner la vie, savoir utiliser ses courants pour avancer, être attentif à ce qu’elle nous propose chaque jour, profiter des opportunités qu’elle nous apporte… La vie nous offre des moments magnifiques, complètement inattendus, qu’on serait incapable d’imaginer. Mais il faut encore savoir les saisir au passage. Ne pas ressembler à ces voyageurs tellement pressés d’arriver à destination qu’ils ne jettent pas un coup d’œil aux paysages qui défilent derrière la vitre. Toutes nos existences sont comme les bras qui partage le même fleuve. On ne choisit pas le bras que notre barque va prendre, mais si l’on en suit le courant, on arrivera jusqu’à l’océan. Si au contraire on veut lui imposer une autre direction, on risque de s’embourber dans les marécages…
Bordes Luc
C’est cela. Merci.