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Comprendre le karma

« La source est très pure. Les affluents deviennent bourbeux. » Taisen Deshimaru

En Occident, avec nos propres références religieuses et morales, on a tendance à voir le karma comme une sorte de justice divine qui punit et récompense chaque individu en fonction de ses actes. C’est une vision très éloignée du vrai sens de karma, tel qu’on le retrouve dans la plupart des religions indiennes et asiatiques.

Le karma, c’est l’action

Karma veut dire simplement action en sanskrit . C’est ce qui agit en actes, en paroles et en pensées. C’est à la fois l’intention qui sous-tend l’action, l’action elle-même et les conséquences de l’action. Chaque action produisant d’autres actions et d’autres effets sur nos vies, c’est un cycle sans fin, c’est le Samsara.

Le karma, comme une force centrifuge, nous maintient attachés à la roue du Samsara. Nous accumulons tout au long de nos existences des « graines » karmiques dont les fruits peuvent germer dans cette vie ou dans des vies futures. Mais nous en détruisons aussi, en ne leur donnant pas l’occasion de se développer. C’est pour cela que nous pouvons mettre fin à notre karma par notre comportement. C’est un point essentiel du Bouddhisme dont la finalité justement est de libérer les êtres humains de leur karma et des cycles du Samsara. Heureusement, les bouddhistes sont réputés pour être patients…

Tout ce que nous faisons, disons, pensons laisse une empreinte plus ou moins profonde, comme nos pas laissent une empreinte dans la terre après notre passage. Ces empreintes déposent les graines karmiques, qui pourront germer, à un moment où à un autre, dans la vie présente ou une vie future. Chaque graine peut se développer et produire à son tour d’autres graines. Dans ce processus de causes à effets, l’intention, c’est-à-dire la pensée qui a motivé l’acte, est plus importante que l’acte lui-même. Si vous blessez quelqu’un par accident, parce que vous avez manqué d’attention, ce n’aura pas la même conséquence karmique que si vous l’avez blessé intentionnellement.

En cela, l’interprétation bouddhiste du karma n’est pas un déterminisme – le fameux « c’est ton karma ! » – mais au contraire la possibilité pour chacun de diriger sa vie et d’être, au moins en partie, responsable de son destin. Je dis au moins en partie, en pensant aux déterminismes biologiques, sociaux ou historiques, même si on peut déduire que le karma puisse aussi avoir une influence sur ces facteurs déterminants, en particulier dans le processus de renaissance.

Karma et réincarnation

Même si le karma agit tout le long de notre vie, il est souvent associé à l’idée de réincarnation. Mais encore faut-il savoir ce qu’on appelle réincarnation.  La notion de karma est née en Inde où par tradition on croit que l’âme est immortelle. Il est donc assez logique que cette âme, l’Atman, se réincarne en gardant en elle l’empreinte de ses actions passées, et ses conséquences bonnes et mauvaises qui influenceront ses vies futures.

Mais Bouddha ne croyait pas à l’Atman – c’est ce qui a séparé son enseignement des religions indiennes traditionnelles dans lequel le bouddhisme est né. Il ne croyait pas en une âme telle que la conçoit la tradition brahmane, c’est-à-dire une substance spirituelle éternelle qui existe indépendamment du corps. Pourtant Bouddha croyait au karma et à la réincarnation. Lui-même aurait eu 547 vies antérieures. Cela peut paraitre contradictoire.

Comment croire au karma, sans croire à l’âme ?

Que reste-t-il alors s’il n’y a pas d’âme ? Qu’est-ce qui se réincarne ? Dans quoi s’inscrit le karma ?  Lorsque nous mourrons, nous abandonnons notre corps et les skandhas, les 5 agrégats qui forment notre ego (la forme, la perception, la conception, la volition et la conscience), mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus rien après la mort. Le bouddhisme n’est pas une philosophie matérialiste. Perdre les skandha, ce n’est pas perdre la perception et la conscience du monde, c’est au contraire se libérer des limites étroites que ces agrégats imposent à notre conscience. Cela est confirmé par de nombreux témoignages d’expérience de mort imminente. Tous racontent comment ils se sont vus morts sans éprouver d’attachement pour leur corps ou de regrets pour leur vie. Tous voyaient, entendaient alors que leurs organes sensoriels ne fonctionnaient plus, se déplaçaient à leurs grés, instantanément, comme si la notion d’espace et de temps n’existait plus.

Nous sommes comme des prisonniers de naissance qui n’ont jamais vu le monde qu’à travers la petite lucarne de leurs cellules et qui, enfin libérés, le découvrent dans sa vraie dimension et son évidente réalité.  C’est ainsi aussi que nous voyons nos vies, nos actes, nos paroles et les conséquences de ceux-ci, dans la lumière crue de la vérité. Hors des murs de notre ego, plus rien ne nous sépare des autres. Nous pouvons éprouver le bonheur et l’amour que nous avons su donner, mais aussi le malheur et la souffrance dont nous sommes responsables comme s’il s’agissait de nos propres sentiments. Ne serait-ce pas ça l’enfer, ressentir réellement la douleur qu’on a infligée aux autres ? Ne serait-ce pas la pire punition pour tous ceux qui ont causé le malheur d’autres êtres humains de ressentir indéfiniment leurs souffrances ? Et le meilleur Paradis pour ceux qui ont dispensé de l’amour et du bonheur autour d’eux ?

Réincarnation ou renaissance ?

Dans la vision bouddhiste de la vie, le terme de réincarnation est impropre. La réincarnation induit qu’il y aurait une séparation entre le corps, temporel, et l’esprit éternel. Or pour bouddha ni le corps ni l’esprit n’ont de substance propre. C’est pour cela que le mot renaissance est plus juste que celui de réincarnation qui induit le retour de quelque chose qui existe. De vie en non-vie, il reste la part de conscience où s’est imprimé notre karma.

On peut imaginer, de façon prosaïque, les cycles de renaissances comme un jeu vidéo. Le personnage avec lequel on joue agit dans un monde virtuel, avec une certaine autonomie dans le sens où il a toujours des choix de possibilités. Durant tout le jeu, il gagne et perd des points. Au fur et à mesure qu’il avance dans la partie, il trouve des choses qui l’avantagent, accumule des connaissances qui l’aident à prendre les bonnes décisions. Il peut aussi faire des erreurs, perdre ce qu’il avait gagné au cours des jeux précédents et accumuler les handicaps. Lorsque la partie se termine, le personnage disparait, mais tout ce qu’il a gagné ou perdu durant la partie reste dans la mémoire du jeu vidéo. A cet instant, en mode « hors-jeu », toutes les séquences du jeu ne sont plus que des informations stockées. Il n’y a plus d’espace ni de temps.   Le début, la fin, tous les scénarios possibles, tous les espaces où les personnages se déplacent sont réunis en un seul point, simples informations dans la mémoire. De la même façon, nous pouvons imaginer qu’entre deux vies nous sommes un morceau de mémoire dans « le grand cloud universel », un morceau de conscience dans la conscience Alaya.  Ce n’est que lorsque le jeu démarre, que le temps et l’espace reprennent forme, et avec eux notre corps et notre esprit. A chaque nouvelle partie, le personnage ne se « reproduit » pas à l’identique, mais se recrée à partir des informations enregistrées.  Le nouvel avatar ne sera donc « ni tout à fait un autre ni tout à fait le même », comme disait le poète… Mais ses conditions de vies, ses capacités à bien réagir à son environnement, ses atouts comme ses handicaps seront déterminés par ses parties précédentes. Ainsi le karma va influencer nos capacités d’agir, mais jamais déterminer nos choix d’action. C’est pour cela qu’à terme nous pouvons, grâce à des choix de plus en plus justes, qui ne vont pas entrainer de conséquences négatives pour soi et pour les autres, nous en libérer.

Zazen et Karma

Durant zazen, dans l’immobilité physique et mentale, nous ne produisons pas de karma. Au contraire, en prenant conscience de la réalité de notre nature, de l’influence de l’ego sur notre comportement, des conséquences de nos actes, nous pouvons agir de façon plus juste, neutraliser les « mauvaises graines » en ne leur donnant pas l’occasion de se développer, en asséchant la terre dans laquelle elles attendent. Lorsqu’il n’y a plus de graines karmiques, nous sommes libérés de nos attachements, sources de nos souffrances, nous sommes libérés du Samsara et n’avons plus besoin de renaître.

 

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