Conscience Eveil Meditation

Se libérer de la souffrance

“Il y a plus de larmes versées sur les prières exaucées que sue celles qui ne le sont pas.” Thérèse d’Avila

J’ai souvent lu et entendu que pour Bouddha « la vie est souffrance », et cette affirmation nous est présentée comme le fondement de la philosophie bouddhiste. C’est pour moi un contresens profond.

Le sens de Dukkha

Avant de parler de la souffrance et comment s’en libérer, il faut d’abord définir ce qu’on entend par « souffrance » et même de quelles souffrances il s’agit. Il faut revenir au texte de référence, le premier sermon de Bouddha après son Eveil, le Sutra des Quatre Nobles Vérités. Le texte originel est très court. Ce n’est qu’après qu’il a fait l’objet de maints développements et commentaires. Le voici dans son intégralité : « Il y quatre Nobles Vérités : la Noble Vérité de Dukkha  (que je ne traduis pas par souffrance, nous y reviendrons), la Noble Vérité de l’origine de Dukkha, la Noble Vérité de la cessation de Dukkha, la Noble Vérité du chemin de la cessation de Dukkha ».

Traduire le mot sanskrit Dukkha par souffrance est très réducteur.  Walpola Rahula écrit dans son livre L’enseignement de Bouddha : « La première des Nobles Vérités est généralement traduite par « la Noble Vérité de la souffrance », et elle est interprétée comme signifiant que la vie ne serait, selon Bouddha, que souffrance et douleur. Cette traduction et cette interprétation sont tout à fait insuffisantes et trompeuses. C’est par suite à cette traduction trop étroite, libre et facile, et de l’interprétation superficielle à laquelle elle conduit, que beaucoup de personnes tiennent, à tort, le bouddhisme pour une doctrine pessimiste. » Je partage cette analyse. Il y aurait même un paradoxe, voire une contradiction profonde à penser que le bouddhisme est une philosophie pessimiste, alors que l’essentiel de l’enseignement de Bouddha a pour finalité de faire accéder au bonheur et à la paix tous les humains.

Et il ajoute, quant à l’interprétation du mot Dukkha : « On admet que le mot Dukkhadans l’énoncé de la Première Noble Vérité, comporte évidemment le sens courant de souffrance, mais qu’en plus il implique les notions plus profondes d’imperfection, d’impermanence, de conflit, de vide, de non-substantialité. Il est donc difficile de trouver un mot qui embrasse tout ce que contient le terme Dukkha dans l’énoncé de la Première Noble Vérité. Par conséquent il vaut mieux s’abstenir de le traduire. »

Dukkha inclut dans son sens la souffrance, non comme une constante de la vie – ce que sous-entend « la vie est souffrance » –, mais comme une conséquence de la nature phénoménale de nos vies, qui induit forcément l’impermanence, l’imperfection et l’incomplétude. La naissance, la maladie, la vieillesse et la mort, qui sont les exemples habituellement cités dans les textes bouddhistes, sont la conséquence de l’impermanence et de l’imperfection. Ils sont impossibles à éviter, sinon en parvenant à sortir du Samsara et du cycle des renaissances (c’est la troisième des Nobles Vérités, la cessation de Dukkha, mais pas la plus facile à atteindre…) Avoir conscience du non-soi ou de la vacuité de l’existence ne va pas être d’un grand secours pour calmer les douleurs de l’accouchement ou de coliques néphrétiques ! De plus, on ne peut pas réduire la naissance à la douleur ni même la vieillesse aux souffrances qu’elle peut engendrer. La naissance est aussi, et surtout, un moment de joie et d’amour et la vieillesse n’est pas fatalement douloureuse. Il existe même des bonheurs qu’on ne découvre qu’à l’automne de sa vie, j’en ai fait moi-même l’expérience. Quant à la mort, beaucoup de personnes ayant eu une expérience de mort imminente témoignent plutôt du contraire en décrivant un sentiment de détachement et de sérénité.

La vie est joie à qui sait la vivre

En réalité, ce n’est pas la vie qui est souffrance, c’est même le contraire, la vie est joie à qui sait la vivre, quand on la laisse s’accomplir – nous sommes dans l’ensemble heureux d’être vivants, malgré les désagréments que la vie quotidienne peut nous apporter. Qui n’a pas éprouvé, en recevant inquiet le résultat d’examens médicaux, cette joie simple et profonde de savoir qu’il va pouvoir continuer à avoir une « vie normale » ? Comme l’a écrit Henri Bergson : « La joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire. »  C’est quand la vie est empêchée que nous ressentons de la souffrance.

La vie est la réalisation de la force créatrice qui nous constitue. Cette force n’est pas le phénomène, elle le crée. C’est en réalisant la vie en nous, en lui permettant de s’accomplir pleinement que nous nous harmonisons avec notre nature profonde. Nous prenons conscience que nous ne sommes pas cette entité stable et autonome que nous appelons moi, mais un flux  qui alimente notre corps et notre esprit, sans début et sans fin, qui existait avant notre naissance et continuera à exister après notre mort.

Les origines de Dukkha

Prendre conscience de la nature de Dukkha, c’est prendre conscience des origines de la souffrance.  C’est la deuxième Noble Vérité. Cette origine c’est ce que les bouddhistes appellent la soif. C’est parce que nous voulons être ardemment permanents, parfaits et satisfaits (au sens de ne manquer de rien, de ne vouloir rien abandonner) que nous souffrons. La vie est un flux de phénomènes qui apparaissent et disparaissent sans cesse. Ils ne sont bons, mauvais ou neutres seulement selon l’interprétation que nous en faisons. L’origine de la souffrance n’est pas dans les circonstances extérieures – sauf bien sûr dans les cas de souffrances physiques infligés par la violence ou la maladie – mais en nous, dans la façon dont notre ego réagit à ces circonstances extérieures. C’est pour cette raison fondamentale que nous pouvons nous en libérer.

Si Bouddha parlait seulement de la souffrance occasionnée par la naissance, la maladie, la vieillesse ou la mort, sa promesse n’aurait aucun sens. Chacun sait qu’on ne peut y échapper. Nous pouvons éventuellement modifier la façon dont on va vivre cette douleur, l’accepter comme une conséquence naturelle de notre sensibilité et non la rejeter comme une injustice, lutter contre, ou stagner dans une rumination mortifère. Mais si nous ne pouvons pas éviter les souffrances naturelles de la vie, nous pouvons nous libérer des souffrances que nous créons nous-mêmes.

Nous créons nos propres souffrances

Car c’est nous, ou plus exactement notre attachement à notre ego, qui le plus souvent empêche la vie de s’accomplir et produit de la souffrance. C’est parce que nous sommes attachés à notre ego que nous souffrons de devoir mourir, de perdre notre jeunesse, de ne pas être invincibles face à la maladie et aux chagrins. C’est parce que nous sommes attachés à nos désirs de posséder, de profiter, que nous sommes toujours insatisfaits, frustrés, contrariés, que nous nous sentons victimes, que nous nous « rendons malade ». D’où viennent tous ces blocages, ces douleurs psychosomatiques, ces angoisses, ces dépressions, ces colères, ces sentiments de culpabilité qui nous empêchent de vivre, qui épuisent notre énergie vitale ? Ce n’est pas la vie qui nous fait souffrir, c’est nous qui faisons souffrir la vie !

Nous souffrons parce que nous sommes dans l’illusion que nous créons notre vie, que nous en sommes maîtres, que nous sommes ce que nous pensons, ce que nous désirons, ce que nous voulons, sans nous rendre compte que nous ne créons rien, nous limitons au contraire la vie aux dimensions étroites de notre moi. Nous pouvons nous libérer des souffrances engendrées par notre vision erronée, déformée par nos passions, nos désirs égoïstes, nos peurs, nos colères, notre avidité…  En bref, tout ce qui empoisonne notre vie jour après jour et qui empoisonne, du même coup, la vie de notre entourage.

Mais attention, se libérer de la souffrance ne veut pas dire devenir insensible, s’anesthésier. Au contraire, se libérer de ses émotions négatives nous rend plus ouverts aux autres, au monde qui nous entoure, développe notre compassion.

La cessation de Dukkha

Comprendre l’origine de Dukkha doit nous conduire à la cessation de Dukkha, c’est-à-dire à l’extinction de la soif qui nous attache à notre ego, à nos désirs égoïstes, à notre volonté de devenir et de renaitre. Celui qui peut se maintenir dans cet état trouve le Nirvana et se libère du Samsara, le cycle des renaissances. N’ayant pas trouvé personnellement le Nirvana, cela reste pour moi, comme sans doute pour la plupart des bouddhistes, une simple vue de l’esprit que je me garderai donc de commenter.

La quatrième Noble Vérité est le chemin de la cessation de Dukkha, que l’on appelle l’Octuple Sentier. Nous en parlerons dans le prochain article.

3 Commentaires

  • Mazen Fu Sho

    Merci pour cette excellente interprétation de la notion de Dukkha et des quatre Nobles Vérités.
    Je désire faire une petite remarque, sans prétendre ni corriger ni expliquer, et encore moins vous apprendre quelque chose que vous ne connaissez pas: le Nirvana n’est pas à atteindre. Vous êtes dans le Nirvana, et la pratique de zazen ne fait que vous ouvrir le regard sur cette présence.
    Gassho

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    • Richard Seff

      Bonjour, vous avez parfaitement raison. C’est une expression qu’on utilise souvent mais qui peut-être mal interprétée. Peut-être vaudrait-il dire “trouver”, car il est en nous mais nous ne le voyons pas, pour reprendre votre image. Merci de cette remarque.
      Gassho

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  • Magali

    Bonjour, cet article est sublime, merci. J’ai découvert la méditation au travail car un atelier meditation en entreprise nous été proposé. Je vous avoue que cela a considérablement changé ma vie.

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